PEU IMPORTE joue le jeu de la vie et du théâtre le plus sérieusement possible, tout en sachant que ce n’est qu’un jeu.

l’écriture joueuse

Dans le travail d’écriture de la compagnie, il y a 2 axes contraires de recherche :

  • « comment exprimer une idée » ? (avec quels mots, quel personnage, quelle situation… ?)
  • « comment, avec les mots, ne pas chercher à exprimer une idée » ?,

comment ne pas leurs imposer notre pensée, comment les écouter pour la première fois, se laisser envahir par la sonorité qu’ils produisent l’un à coté de l’autre, et comme on écrirait de la musique, jouer des mots comme des notes, jouer avec les mots, laisser les mots jouer se jouer des mots pour qu’ils soient plus que des mots La compagnie a la conviction qu’il y a tout à trouver dans la recherche des contraires.

Ci-dessous, quelques exemples de notre adaptation de l’essai philosophique
"Le Monde Commence Aujourd’hui" en pièce de théâtre

1. Texte Original

« Au cours du second hiver — celui de 1945 —, l’armée allemande vint à manquer de sang. Les haut-parleurs des S. S. hurlèrent la nouvelle à travers tous les blocs, un matin de décembre, de cette même voix furieuse et morte qui annonçait les « revues de poux », les « appels », les pendaisons. La voix disait que les détenus du KBU (Konzentrationslager Buchenwald) seraient appelés par groupes, selon leurs numéros matricules, et donneraient volontairement leur
sang aux blessés.}

Notre adaptation :

Don du sang ! Don du sang ! Don du sang pour les blessés de l’armée allemande. A l’infirmerie ! Polnisch fünf und zwanzig ! P25 ! Touché ! 200 grammes de sang ! Russisch Fünf und fünfzig ! R55 ! Touché ! 300 grammes de sang. Ungarisch drei und dreizig ! U33 ! 500 grammes de sang ! U33 touché, U33 touché…coulé, U 33 ! Französisch ein und vierzig tausend, neun hundert acht und siebzig. F41978 ? F41978 ! A l’infirmerie ! Numéros complémentaires, le 99, le 57, le 42 et le 18. Le KBU, Konzentrationslager Buchenwald vous remercie. Danke schön !

2. Texte Original

Les fous ne s’y trompaient pas ils savaient que tout ce qui leur viendrait de « la jambe de bois » (Louis) serait bon. Ils nous rendaient donc de continuelles visites. Car ce bloc d’invalides, notre demeure, était devenu, par la volonté des S. S., la poubelle du camp on y jetait pêle-mêle les unijambistes, les manchots, les culs-de-jatte (j’en fréquentai trois), les paralysés, les asthéniques, les fous.}

Notre adaptation :

Jacques : Merci, je peux m’asseoir ?
Louis : Si tu veux t’asseoir, faut pousser, dans le bloc des invalides faut pousser, on est très très très nombreux
Jacques : Oui, je sais, mille cinq cents hommes au lieu de 300 dans les autres blocs…
Louis : Faut pousser !
Jacques : Mais non Louis, faut pas pousser, je vais t’expliquer pourquoi, concentres-toi. Dans le bloc des invalides, ce ne sont que manchots, unijambistes et culs-de-jatte, donc faut pas pousser car ça prend…concentres-toi Louis, faut pas pousser car ça prend…
Louis : …
Jacques : …moins de place ! Et si nous les aveugles, les sourds-muets, les tuberculeux, les syphilitiques, les trépanés, les fous, si nous on a les rations spécialement divisées par deux, c’est a fortiori pour nous aider à prendre… c’est pour nous aider à prendre…
Louis : …moins de place !
Jacques : Bravo Louis, t’as tout compris. Alors faut pas pousser !
Louis : Si faut pousser ! T’es aveugle toi tu comprends rien !

3. Texte Original

En réalité, je sentais, d’une façon très forte, que Louis, malgré l’évidence des dates, n’était pas venu au camp dans le même temps que moi. Lui, il avait l’habitude, cela remontait à son enfance peut-être. C’était sa terre à lui, le malheur. Sûrement, c’était sa terre même, et il n’en était pas dégoûté. Il était fier, au contraire, d’être dans un camp de concentration, à Buchenwald.}

Notre adaptation :

Louis : Million de mille milliards ! Louis a fait beaucoup de kilomètre pour en arriver ici ! C’est trop loin d’ici à Anjou ! Louis peut plus revenir d’ici ! Louis doit rester ici, avec les gens bien. Louis bien ici. Million de mille milliards ! Beaucoup de kilomètre dans la vie de Louis…

Jacques : Et dans la vie de Jacques combien de kilomètre au compteur ? Les routes du collège, les rues du lycée, les avenues de l’université, les boulevards des grandes écoles et puis stop la guerre… Les sentiers du maquis, les souterrains de la résistance, les égouts de la clandestinité et puis stop un mouchard… Les couloirs de la gestapo, les coursives de la prison de Fresnes, les rails du chemin de fer et puis stop, Buchenwald, tout le monde descend !! Tous ces kilomètres au compteur ! Tous ces kilomètres pour arriver ici ! Tout ça pour en arriver là ! Pourquoi ?