PEU IMPORTE fait des allers-retours permanents entre la dérision et le sérieux...ne veut pas s’installer d’un côté ou de l’autre...est là quelque part entre les deux

if marseille

Le roman écrit par notre artiste associé, Benoît Gontier

DISPONIBLE CHEZ VOTRE LIBRAIRE !!!

voici quelques extraits

Demoiselle K
savez-vous où vous allez passer votre résidence d’artiste du 13 janvier 2012 au 13 janvier 2013 moi je dois résider à Marseille dixit ma convention de résidence « vous explorerez les arrondissements de Marseille à chaque date anniversaire du 13 et du 13 inversé c’est à dire le 31 par tirage au sort vous changerez de résidence et d’arrondissement »
(...)
je ne sais pas qui pond ces programmes de résidence sans doute un parisien vu qu’il y en a plein dans l’équipe de Marseille Provence 2013 enfin passons je reprends « en arpentant les 16 arrondissements vous dresserez une carte anatomique et articulerez les parties qui constituent "Le Corps de Marseille" »

Agustín Altamirano
Je me réjouis de ne pas être seul à avoir la responsabilité de « redresser » ce petit bateau appelé Marseille, je dois vous l’avouer dans l’intimité que permet cette lettre qu’à l’exception de l’enthousiasme qu’ont toujours éveillé en moi Alexandre Dumas et son Comte de Monte-Cristo, j’ignore presque tout de ce port.

Demoiselle K
treize étrange d’arriver dans une ville un treize janvier à treize heures et de plus un vendredi 13 quand le Concordia fait naufrage heureusement je ne suis pas superstitieuse
(...)
vous êtes sur l’îleuh du Château d’If dans le 7ièmeuh arrondissement j’avais tiré le bon numéro le numéro 7 c’est votre résidence JC viendra vous chercher le 31 je lui ai répondu que jusqu’au fameux 13 inversé ma prison serait beaucoup plus dorée que celle d’Edmond Dantès et ma détention beaucoup moins longue désolé on n’a pas pu vous mettreuh dans la celluleuh du Comte de Monte-Cristo ni dans celleuh de l’Abbé Faria trop visitées par les touristes on vous a mis dans celleuh du Marquis de Sade mais fallait pas s’excuser somme toute normal d’arriver yeux bandés dans la cellule du divin marquis

Agustín Altamirano
À la sortie de l’aéroport MP2 (dites-moi au fait, est-ce qu’en France il faut toujours parler en se servant d’acronymes : MP2, PACA, DSK, CUI, QI ?), il n’y a pas eu de voiture pour venir me chercher, ce qui m’a obligé à prendre un taxi qui m’a amené aux quatre coins de la ville – alors que je ne le lui avais pas demandé ! – ceci dit en passant les eaux dormantes du Quai de la Fraternité ont bien besoin d’un bon petit nettoyage – entre temps le compteur défilait : il affichait déjà 98 euros !!!!, et le chauffeur répétait à mi-voix « rue de Forbin, rue de Forbin, rue de Forbin… », voulant me faire croire qu’il n’avait aucune idée du satané endroit où se trouvait cette maudite rue. Une heure après être parti de l’aéroport, avec 150 euros en moins dans mon portefeuille, je suis entré dans l’hôtel avec un bon mot à la bouche : Putain ! Et, pouvez-vous vous l’imaginer ? Comme on n’est jamais au bout de ses peines : ma réservation avait été annulée… Et du coup, une seule chose m’est venue à la tête : ¡Chingada madre ! (ne vous mettez pas martel en tête pour comprendre, vous n’avez qu’à vous imaginer quelque chose d’un peu plus laid que Putain !).

Demoiselle K
aujourd’hui j’ai décidé d’aller trouver l’inspiration auprès de la Bonne Mère celle qu’on voit de partout par exemple de ma résidence du Château d’If ce matin wake up aux premières lueurs de l’aube (...) avec la tentation de Marseille devant moi frémissait dans la brume Le Corps de Marseille elle aussi se réveillait peu à peu son corps d’au moins 20 km de long ses jambes interminables s’étiraient le long de la côte et la mer entre elle et moi dans mon Château d’If if if if me suis-je dis et si j’allais à Marseille là-haut la Bonne Mère trônait vous avez remarqué où que l’on soit Big Mother Is Watching You quand on s’intéresse à une personne il faut d’abord s’intéresser à ses yeux (...)bienvenue dans mon pointu m’a dit le gardien du Château d’If dans la barquette marseillaise Demoiselle K est montée ça c’est le Zizi de Marius qu’on appelle aussi le Pain de Sucre m’a dit mon guide touristique en me montrant un obélisque sur un ilôt que nous croisions je plaçais donc le zizi avec respect sur la Carte Anatomique du Corps de Marseille et ça c’est le Vagin de Fanny lui ais-je demandé innocemment en lui montrant le petit port de pêche dans le ciel un ange a passé à moins que ce ne soit une mouette qui s’est posée sur le sommet de l’obélisque elle au moins riait et ne semblait pas perturbée par l’érection pagnolesque c’est une grosse mouette plus grosse qu’à Dunkerque lui ais-je dit pour renouer la conversation c’est un gabian a t-il répondu sèchement fièreuh de son goéland marseillais et le petit port derrière c’est pas Fanny c’est l’anseuh de Malmousqueuh
(...)
je débouchai toute essoufflée sur la plateforme de la kitsch basilique je vous conseille la vue à 360 degrés sur les 111 quartiers de Marseille je fais le tour du belvédère de la Bonne Mère une deux une deux la marche comme un métronome respecter le compás* me répète inlassablement ma prof de flamenco el compás* je pense l’écriture est une musique une danse une transe je texte je performe et me filme à l’Iphone je slame en slalomant entre les crottes de chien Marseille quel est ton compás* quel est ton rythme le plus profond est-tu flamenco tango rock raï ou techno Marseille en contrebas on entend battre ton cœur le Vélodrome battre ton pouls sur le Vieux-Port circuler ton sang le long de l’artère Canebière Marseille si tu m’ouvrais ton cœur Marseille si si if if Marseille mon cri déchire la cuvette marseillaise sur ma Carte Anatomique du Corps de Marseille j’ai pu placer les yeux le cœur le pouls le sang et l’artère

Agustín Altamirano
Pas plus tard qu’hier, lorsque m’a réveillé, l’infatigable hululement des sirènes de police, j’ai décidé d’aller faire une promenade nocturne sur le Vieux-Port dans l’espoir d’y trouver un havre de paix en observant la Bonne Mère, mais là où vous trouvez l’inspiration, (...), moi je me heurte à des grizzlys mutants… Oui, vous avez dû déjà voir ça, il y a des rats partout. Même pas dans le métro de Londres j’ai vu des exemplaires aussi bien alimentés.

Demoiselle K
je suis donc rentrée à pied vous m’aviez refilé votre poisse cela m’a permis quand même de traverser le centre vous avez raison ici les rats sont les rois de la nuit traversent tranquillement sur les passages cloutés peut-être même que les voitures les laissent passer en tout cas pas les piétons vous avez pu vérifier vous-même le célèbre dicton marseillais piétons engagés piétons écrasés

Agustín Altamirano
Voilà dix jours que je suis dans ce port, et le contrecoup de mon arrivée est toujours là : si je ne suis pas renversé par un motard fou, c’est par un automobiliste qui a oublié les freins à la maison. Je n’avais encore jamais vu une telle imprudence aux dépens du piéton, comme si nous étions des hologrammes. On se croirait presque dans une compétition, qui des deux écrasera l’autre, l’homme ou la machine ? Quoi que j’admette être surpris par leur synchronisation : pour l’instant, je n’ai pas encore vu un seul accident malgré le pas lent des marseillais, qui, allez savoir pourquoi, marchent comme dans une procession.

Demoiselle K
devant la Brasserie de l’OM JC m’a dit chère Demoiselle K je vais remonter la Canebière en comptant lentement dans ma tête de 1 jusqu’à 16 pour chaque arrondissement de Marseille quand vous le voudrez vous me direz STOP sur la plus belle avenue du monde à droite comme à gauche les kebabs défilaient et incitaient à la rebaptiser la Kebabière devant l’église des Réformés d’une petite voix j’ai dit STOP maintenant les dés sont jetés a dit JC quand la voiture a disparu sous les voies de chemin de fer qui mènent à la Gare Saint-Charles mon cœur s’est serré 100m plus loin au bout du tunnel (...) le boulevard national s’était transfiguré c’étaient donc cela les quartiers Nord d’un côté du tunnel il n’y avait pas âme qui vive chacun restait chez soi seuls quelques chiens en laisse promenaient leurs maîtres avant le film du dimanche soir de l’autre côté du tunnel c’était un fourmillement de gens sortant rentrant des taxiphones des mouettes perchées sur des poubelles crevant de leur bec des sacs plastiques et riant la gueule ouverte remplie de détritus des rats se poursuivant franchissant en tout impunité la ligne blanche de jeunes femmes en pantoufles bleues en peignoir ou pyjama rose déambulant dans la rue comme dans leur living-room oui à Marseille la rue était living vivante

Agustín Altamirano
Ma navette en provenance d’Aix-en-Provence arrive à la gare Saint-Charles, dont je vois la façade, et laissez-moi vous dire qu’à cet instant précis, j’ai pensé : le cœur de cette ville, c’est sa gare ; c’est là qu’est Marseille, des gens qui vont, des gens qui vont et viennent.

Demoiselle K
cher aix-patrié à peine arrivé à Marseille et déjà à Aix-en-Provence c’est un crime de lèse-majesté savez vous qu’en France chaque ville à sa rivale Metz ne blaire pas Nancy Lyon et Saint-Étienne ne se supportent pas Rennes et Nantes se disputent la capitale de la Bretagne Saint-Quentin et Amiens ont rivalisé pour la gare TGV-Haute Picardie si bien qu’elle a terminé non pas dans les choux mais au beau milieu d’un champ de betteraves c’est bien connu Aix la bourgeoise ne supporte pas Marseille la prolétaire et vice-versa
(...)
faites attention aux aixoises bien plus dangereuses que les cagoles marseillaises ces dernières on les voit arriver de loin habillées en sportswear arpentant la rue Saint-Fé et le cours Belsunce les aixoises elles sont pires que les parisiennes elles n’ont pas le pont mais le cours Mirabeau bien plus sexy que le cours Belsunce

Agustín Altamirano
Hier, pendant que je vous écrivais, j’ai été interrompu par une conversation téléphonique avec l’aînée de mes deux filles et le ton est monté. (...) Vous comprendrez que je n’ai pu faire autrement que m’arrêter d’écrire votre lettre, et d’aller faire un tour pour me changer les idées à l’abri de la nuit, là où reposent toutes les questions, mais aussi toutes les réponses ; on sait bien que lorsque le soleil s’éteint, l’univers se met à palpiter. Mais la nuit m’a apporté un spectacle dantesque : le feu embrasait l’emblématique Cité Radieuse de Le Corbusier, quel malheur ! Vous le voyez, j’étais pris entre deux feux : celui de ma fille aînée et celui de Marseille.

Demoiselle K
nous roulions sur le Boulevard Plombières portait le nom d’un deal secret du Second Empire qui annonçait d’autres deals celui des cités Nord Plom(bières) après Cane(bière) était-elle l’annonce au pluriel de ma mise en bière dans les quartiers Nord (Plomb)ières ça vous plombait le dédoublement du boulevard en passerelle routière vous bouchait l’horizon et puis tout à coup JC a tourné à droite s’enfonçant irrémédiablement dans le 14ème (...) bienvenue dans le quartier du Merlan m’a dit JC ne vous inquiétez pas c’est une cité tranquille vous logerez chez l’habitant 13ème étage encore un 13 avec MP2013 chaque jour je fais des indigestions de 13 je prends l’ascenseur en route pour de nouvelles aventures
(...)
chaque soir (...) Demoiselle K descend se ravitailler (...)au Snack s’appelle Le Quatorzième manger un Kebab hallal sauce blanche frite salade tomate oignon Demoiselle K maintenant est introduit dans le quartier Demoiselle K n’est plus effrayée la chouette effraie est descendue de son perchoir Demoiselle K est une habituée elle tape la discute avec des petits dealers de shit ça tchatche ça joue à la Playstation autour d’un Fanta citron frappé ou d’un Oasis pomme cassis framboise parfois au détour d’une cannette (...) Demoiselle K essaie bien de dealer de la culture dans les quartiers Nord je leur ai parlé de L’étranger de Camus mais ça ne marche pas très fort
(...)
au Snack Le Quatorzième je vous écris une balle perdue dans mon kébab coup de chance c’est moi qui ai eu la fève le mec est entré combinaison casque noir intégral je l’ai regardé droit dans les yeux enfin j’ai essayé ça se fait pas d’entrer casquer encore moins visière baissée mais pas le temps d’aligner une deuxième pensée le mec a dégainé n’a pas tiré sur tout ce qui bouge savait où il fallait viser direct sur la tête d’un comorien l’a copieusement arrosé le mec attablé juste à côté a été surpris était absorbé par sa Playstation s’est mis à gueuler pas parce qu’il avait gagné mais parce que c’était comme si le mec casqué sortait tout droit de son écran 3D allez voir sur mon blog j’ai tout filmé à l’iphone enfin à plat-ventre j’ai surtout filmé le sol en off seuls les cris des clients
Demoiselle K reporter de guerre dans les cités